Rabbin et divorce : une équation minée
Les rabanout sont submergées de couple effondrés, en instance de divorce, qui ont pourtant consulté… des rabbins.
Lettre ouverte aux rabanim
Je m’adresse ici tout particulièrement aux rabanim et responsables de communautés, afin qu’une prise de conscience se fasse au sujet des couples en souffrance et dont la situation ne parvient pas à évoluer, faute de consulter des professionnels de la relation de couple. S’il en est ainsi, c’est tout d’abord parce que consulter un psy dans le monde religieux en particulier est encore très mal vu. Youtube et les chaines de télévision religieuses regorgent de rabbins qui se gaussent de sauver les couples. S’en prenant aux « inconcients qui jettent leur argent par les fenêtres en allant consulter les Psys ». La plupart de ces conférences sont en hébreu, mais nos conférenciers francophones flirtent eux aussi avec ces idées-là.
Dans un monde où l’étude est censée apporter la guérison à tous les mots, et où la bénédiction du rav vaut bien plus qu’un avis professionnel, nous nous trouvons pris en étau… Le monde orthodoxe et ‘harédi est très largement retissant à lâcher le pouvoir acquis sur les communautés.
Rabins & Psy : bassar vé ‘halav ?
Redoutant que ces professionnels consultent selon un état d’esprit dans lequel ils ne se reconnaissent pas (en général un judaïsme orthodoxe), le corps rabbinique garde les couples en souffrance par devers eux, leur prodiguant des conseils trop souvent aussi inadaptés à leur souffrance que dangereux, voir dramatiques. J’ai déjà parlé de ces couples qui sont encouragés à faire un autre bébé pour faire « descendre la bra’ha ».
Ces couples qui vont mal circulent d’un responsable communautaire ou rabbinique à un autre, restant toujours dans le même enfermement, contrôlés par des personnes (souvent bien intentionnées, mais) n’ayant étudié ni la communication ni la relation de couple. Leurs connaissances en matière de sexualité, de processus sur la façon dont une famille se construit, sont assurément limitées et livresques dans le meilleur des cas.
Chacun sa place
Personne ne va consulter un pédologue quand il souffre du coeur. Appelle- t-on le plombier pour un problème de crème dessert ? Non ! Alors comment pourrions-nous croire que l’on peut être conseiller en relation conjugale quand on a essentiellement appris la che’hita, la cacheroute, ou la construction d’un mikvé ? Enfin, comment peut-on donner des conseils ou garantir la qualité de son écoute, quand soi-même on n’a pas travaillé sa relation de couple ?
Combien de rabanim ont-ils fait de travail sérieux et rigoureux sur leur relation conjugale, combien ont réglé leurs conflits dans leurs familles, avec leurs enfants… Et avec leurs parents ? Comment dire aux conjoints comment ils doivent s’aimer, comprendre d’où viennent leurs tensions, comment émergent leurs crises, quand on ne connaît pas soi-même les affres du travail personnel (toujours douloureux) et qu’on en est sorti vainqueur à défaut d’être sage ?
Ségoulot et travail personnel
Cessons de faire croire que seule l’utilisation d’amulettes magiques, de Ségoulot ou de prières kabbalistes, ou d’une tournée sur les tombeaux des Tsadidim apporteront la guérison tant attendue. Elles ont un pouvoir de booster, de donner un coup de pousse, d’ouvrir parfois la porte à la compréhension et à la sensibilité spirituelle. Mais de même que la relation à D.ieu ne s’élabore qu’avec beaucoup d’efforts, de recherche et d’investissement, de même, aucune relation de couple ne peut éclore si le couple ne travaille pas durement. Un investissement en temps, en efforts et en argent. Or cela ne peut s’opérer que dans un cadre précis : avec un spécialiste de la relation de couple.
Obligation d’avoir travaillé sa relation de couple
Si vous avez fait des études et avez affronté vous-même les douleurs de l’enfantement de vos émotions, de la remise en question de votre façon d’être en relation avec votre conjoint et dans votre vie personnelle, si vous êtes supervisé et êtes en formation continue, alors, peut-être, si vous avez du talent, vous pourrez vous nommer thérapeute, médiateur ou conseiller conjugal et familial.
Entre rêves et Dérives
Trop de rabbins outrepassent leurs fonctions et font de la résistance, faisant croire que les Mitsvot, les prières et les bra’hot feront le travail à la place de ces hommes et de ces femmes ! Cela est faux, cela n’est pas juif, cela mène à la formation de groupes d’hommes et de femmes dépendants d’une appréciation et d’un jugement extérieur pour décider de leur vie. Cela mène à l’obscurantisme, au clientélisme et au communautarisme, « Haimish business ».
Messieurs les Rabbins, ne voyez-vous pas ce qu’il se passe autour de vous ? Ne voyez-vous pas que la seule chose qui change l’être humain sont les questions auxquelles il va tâcher de répondre par lui-même ? Dieu a dit à Avraham « va vers toi« , il n’a pas dit « mon fils, va demander une bra’ha au Rav BenX« . Il n’a pas dit « demande à Rav Z sa sentence, il va te dire exactement ce qu’il faut faire« , il a dit « va en chemin, et cherche toi« .
Je reçois des couples qui se déchirent depuis 10 ans, à qui l’on a vertueusement conseillé de faire un enfant supplémentaire pour se rabibocher, sous prétexte de faire descendre des nechamot sur terre, disant que un enfant vient avec sa bra’ha. Étant clair que si ce n’est pas le cas, ils ne sont pas ceux qui assumeront l’enfant en question.
La junk génération
Je suis en contact avec des couples en détresse psychologique, qui traînent pendant des années chez des rabbins qui leur dispensent un « prêt-à-aimer » véritable « junk love » de supermarché, comme l’on parle de que « junk food ». Proposant des émotions et relations clonables à l’infini, des relations humaines importées. Cela mènent ces couples des affres de la souffrance psychologique et affective jusqu’au divorce certes, mais en passant par la dépression, les déchirures avec les enfants, la destruction de leurs réseaux social et professionnel.
Rabbins : formez-vous ou démissionnez
- Pourquoi jouer aux apprentis sorciers ?
- Pourquoi ce manque d’humilité basique ?
- Et pourquoi prendre sur vous une telle responsabilité ?
Vous êtes en contact avec des couples et vous avez conscience de votre manque de formation ? Il existe des formations, stages, écoles et universités sérieux où vous pourrez vous former. C’est alors, et alors seulement, que vous pourrez recevoir en consultation.
Vous êtes cadre communautaire : vous voulez changer les choses, faire progresser le professionnalisme dans la communauté ! Écrivez au consistoire, au grand Rabbin de France, aux associations et témoignez sur ecoute-juive afin de mettre en place un projet de société qui saura endiguer cet effondrement du couple juif francophone.
Votre couple vacille ?
Réveillez-vous et faites fonctionner votre bon sens ! Posez-vous avec sincérité la question : »puis-je croire qu’un rabbin qui a appris le Talmud possède aussi les connaissances et les compétences pour s’occuper des problèmes de chalom bait ? Nombreux sont les psychologues respectueux du judaïsme qui pourront vous recevoir en thérapie afin que vous appreniez, pour commencer, comment améliorer la façon dont vous et votre conjoint vous aimez.